1886 - Mundus mentis

N. Lygeros

 Lumin

« Si le peintre veut voir des beautés capables de lui inspirer l’amour, il a la faculté de les créer, et s’il veut voir des choses monstrueuses qui font peur ou bouffonnes pour faire rire, ou encore propres à inspirer la pitié, il est leur maître et dieu. »

Olric

Tu crois qu’il parle de nous ?

Lumin

Cela ne fait aucun doute !

Olric

Seulement dans quelle rubrique sommes-nous ?

Lumin

Tu ne le sais pas ?

Olric

Je crains que oui.

Lumin

Alors pourquoi poser la question ?

Olric

C’était une expérience de pensée. Un temps. Je crois que c’est de circonstance.

Lumin

Ce n’est pas faux !

Olric

Suis-je donc dans le vrai ?

Lumin

En as-tu parlé au Maître ?

Olric

Pas encore !

Lumin

Qu’attends-tu puisque cela te préoccupe ?

Olric

Qu’il soit seul…

Lumin

Le Maître est toujours seul, tu le sais bien.

Olric

Mentalement, oui. Je voulais dire physiquement.

Lumin

Cela ne doit pas te gêner. Un temps. Le physique n’a jamais eu d’importance pour le Maître.

Olric

Notre amitié le prouve…

Lumin

C’est peut-être cela qui te gêne ?

Olric, hésitant.

Tu le penses vraiment ?

Lumin

En te regardant, je ne peux m’en empêcher.

Olric

Je me demande ce qui le pousse à être notre ami.

Lumin

Rien ne peut pousser le Maître à faire cela. Il est trop libre !

Olric

La nécessité ?

Lumin

La nécessité de l’humanité. Silence. Mais regarde plutôt cette phrase.

Olric

Laquelle ?

Il regarde le manuscrit que lui tend Lumin.

« Le peintre qui travaille par routine et au jugé, sans s’expliquer les choses, est comme le miroir qui reforme en soi tout ce qu’il trouve devant lui, sans en prendre connaissance. » Un temps. S’agit-il de l’apprenti ?

Lumin

Je ne le pense pas.

Olric

Pourtant je trouve que c’est son portrait tout craché.

Lumin

L’apprenti ne peint pas encore.

Olric

Mais lorsqu’il le fera, il ne manquera pas d’être ainsi.

Lumin

Que fais-tu de la volonté du Maître ?

Olric

Je ne sais pas si l’apprenti a le niveau requis.

Lumin

Alors c’est peut-être la raison de l’invitation !

Olric

Comme si les monstres pouvaient enseigner !

Lumin

Ils sont bien capables de mourir !

Olric

Ce n’est pas la même chose !

Lumin

Et pourquoi donc ?

Olric

Car cet enseignement est unique.

Lumin

N’est-ce pas le but de l’enseignement que d’être unique ?

Olric

Que peuvent enseigner les monstres aux gens ?

Lumin

Comment devenir humain !

Olric

Mais c’est monstrueux !

Lumin, souriant.

Justement !

Arrivent sur scène Emery et Numance. Ce dernier se fait tirer par le bras.

Emery

Allez viens ! Ils sont là !

Numance

Qui donc ?

Emery

Lumin et Olric !

Numance

C’est vrai ?

Lumin et Olric vont à leur rencontre.

Vous n’êtes pas partis ?

Olric

Nous vous attendions !

Emery

Tu vois que nous ne sommes pas seuls !

Numance

Mais ils sont laids comme nous…

Olric, en regardant Lumin.

Et toc !

Lumin

L’horreur est humaine.

Emery

Qu’importe tout cela ! Nous allons devenir les modèles du Maître.

Numance

Il est intenable.

Olric

Il nous faudra d’abord passer par l’apprenti.

Emery, déçu.

C’est vrai ?

Numance

Le paradis est incertain mais pas le purgatoire. Un temps.

Emery

Vous en êtes certains ?

Olric

C’est ce que nous pensons avec Lumin.

Numance

Tu ne fais plus le fier à présent…

Emery

Nous n’allons pas être des modèles… Silence. Nous pourrions peut-être proposer d’être des caricatures. Silence.

Olric

Nous sommes déjà des caricatures vivantes !

Numance

Cela ne te suffit pas ?

Emery

Non ! Bien sûr que non ! Un temps. Il faudrait nous immortaliser.

Olric

Tu ne préfères pas que notre laideur soit restreinte à cette époque ?

Numance

Nous sommes déjà de trop dans celle-ci.

Emery

Mais nous avons notre place dans l’avenir !

Olric

Nous avons déjà du mal dans le présent… Alors…

Lumin

Même si Emery n’utilise pas la bonne méthode, son idée n’est pas aussi saugrenue qu’elle en a l’air.

Emery

Enfin quelqu’un qui comprend mon génie. Un temps. Tu parlais sérieusement, n’est-ce pas ? Silence.

Il semble inquiet.

Lumin, pensif.

Oui, je crois…

Long Silence.