1884 - Potestas imaginationis
N. Lygeros
Lumin
Qu’as-tu donc ?
Olric
Je ne me sens pas bien.
Lumin
Tu sais bien que pour les gens nous ne sommes jamais bien.
Olric
Je ne parle pas de cela. Un temps. Pourquoi le Maître nous a-t-il invité chez lui ?
Lumin
Pour nous voir pardi !
Olric
Mais il y aura aussi l’apprenti …
Lumin
Tu aimes le Maître. Pourquoi crains-tu l’apprenti ?
Olric
Car le Maître est trop humain, tandis que l’apprenti pas assez.
Lumin
Tu exagères ! Un temps. Nous ne l’avons vu qu’une fois.
Olric
Et il ne nous a pas regardé une seule.
Lumin
Son regard n’est pas encore formé !
Olric
Et c’est sur nous qu’il doit apprendre ?
Lumin
Le Maître veut simplement que nous l’aidions à aider.
Olric
Seulement l’autre est un archétype social. Un temps. Autant demander à un sophiste de devenir socratique.
Lumin
Je fais confiance au Maître.
Olric
Moi aussi ! Mais là n’est pas le problème. Un temps. Depuis ma plus tendre enfance je ne vois que des gens comme l’autre. Soit ils m’évitent soit ils me dénigrent.
Lumin
Mais il y a aussi le Maître.
Olric
Combien de Maîtres pour tous ces gens.
Lumin
Suffisamment. Un temps. Jamais plus.
Olric
Ce n’est pas assez. Tu le sais bien !
Lumin
Nous mettrons nos plus beaux habits.
Olric
Ils ne mettent en valeur que notre laideur.
Lumin
Regarde-moi ! Suis-je repoussant ?
Olric s’avance lentement vers lui et l’embrasse de toutes ses forces.
Moi aussi je t’aime.
Olric
Mais nous sommes si peu nombreux.
Lumin
N’oublie pas l’avantage de la laideur ! Elle reste !
Olric
Tu parles d’un avantage
Lumin
C’est ainsi que nous traversons le temps.
Olric
Je voudrais qu’il soit moins long pour nous.
Lumin
Non ! C’est la société qui le désire ! Mais le temps est avec nous.
Olric
Seulement il n’y a que lui.
Lumin
Nous n’avons besoin que de lui.
Olric
Tout le monde dit qu’il est difficile de mourir mais nous finissons bien par y arriver.
Lumin
L’important ce n’est pas de mourir mais de vivre !
Olric
C’est bien là le nœud du problème.
Dans un coin de la pièce, se trouve un personnage replié sur lui-même. Un autre personnage entre en trombe et se dirige vers le centre. Il regarde le public et ouvre les bras.
Emery
Nous allons servir de modèle au Maître ! Silence.
Numance
La puissance de l’imagination est incroyable.
Emery se rend compte qu’il n’est pas seul. Il regarde autour de lui.
Emery
Qui est là ?
Numance
C’est moi, Numance.
Emery
Nous n’allons pas servir de modèle ?
Il attend avec impatience la réponse.
Numance
Mais si, mais si, justement.
Emery, rassuré.
Alors pourquoi n’es-tu pas heureux ?
Numance
Je ne sais pas. Un temps. Cela me semble ridicule que nous fassions les modèles.
Emery
Pourquoi donc, le Maître est bien notre ami ?
Numance
C’est la seule chose dont je sois certain.
Emery
Alors je ne comprends pas.
Numance
Peut-être qu’il n’y a rien à comprendre.
Emery
Mais nous ne sommes pas rien.
Numance
Que sommes-nous alors ?
Emery, fier.
Les modèles du Maître ! Le haut du pavé !
Numance
Et si le Maître est critiqué à cause de nous ?
Emery
Les critiques seront nécessairement bonnes.
Numance
Mais pourquoi ?
Emery
Car c’est nous ses modèles !
Numance
Tu es incroyable !
Emery
Tu en doutais ?
Numance
Et si c’est l’apprenti qui nous peint ?
Emery, surpris.
Comment ? Un temps. Mais lui ne nous aime pas !
Numance
Je le sais bien. Un temps. Est-ce gênant ?
Emery
Lui ne verra pas notre beauté.
Numance
Quelle beauté ?
Emery
Comment, quelle beauté ? Tu ne vois pas que nous sommes beaux ?
Numance
Tu sais, c’est difficile…
Emery
Regarde nous !
Numance
Cela me fait de la peine ! Un temps. Nous ne sommes pas formidables pour les autres mais nous le sommes encore pour nous.
Emery
Ton image te fait peur ?
Numance
Comment faire autrement ?
Emery
Il suffit de me regarder !
Numance, triste
Mais tu es comme moi…
Emery
Justement tu n’es pas seul !
Noir.