1600 - Sur la nécessité d’un mémoire sur les oublis de la science
N. Lygeros
Dans la lignée des points de vue épistémologiques de Karl Popper, Imre Lakatos, Thomas Kuhn et Paul Feyerabend, il est nécessaire de considérer la science comme un système évolutif plutôt que comme une cumulation de résultats. Le système global est plus complexe et non monolithique. Ceci avait déjà été mis en évidence par les travaux de Kuhn sur la structure des révolutions scientifiques. Le cadre clair et prévisible de l’ensemble a été remis en cause par l’approche et la contre-méthode de Feyerabend. Cependant lorsque nous examinons encore de plus près les bifurcations des découvertes de résultats et surtout des outils de la science, il est nécessaire d’aller encore plus loin dans cette problématique.
En réalité, le modèle darwinien semble bien plus adapté pour décrire l’évolution de la science qui se comporte comme un véritable ensemble d’organismes vivants. Car l’évolution de la science ne se fait ni de manière cumulative ni de manière linéaire. Cependant le plus grave des points de cette évolution pas nécessairement cohérente, c’est l’existence d’oublis fondamentaux. Ces derniers qui ne sont que rarement mis en évidence et ce, par des chercheurs bien souvent marginaux représentent non pas des impasses scientifiques mais des victimes du hasard et du dogmatisme social. Nous connaissons des cas extraordinaires de reconnaissance a posteriori comme avec Boltzmann ou encore Majorana. Nous connaissons des cas exceptionnels comme celui de Ramanujan grâce à sa rencontre avec Hardy. Mais combien de cas demeurent oubliés. Combien de cas de publications retrouvées que par hasard et bien des années après pour vivre enfin pleinement dans le monde de la science à l’instar des travaux de Julia et Fatou redécouverts et mis en valeur par Mandelbrot ? En réalité, bien peu. Dans l’histoire des sciences, les oublis sont bien plus nombreux. Et il en est de même pour les changements de cap et les soubresauts de théorie comme celle de la relativité générale d’Einstein. Nous ne redécouvrons que maintenant les impacts de Hilbert ou de Carathéodory dans l’évolution de cette théorie, bien plus complexe historiquement parlant, que nous ne pouvions le penser au premier abord. Ce n’est que maintenant que nous avons accès à la correspondance Einstein-Carathéodory qui appartenait aux archives secrètes de l’état d’Israël.
A bien des égards, il serait plus justifié de s’étonner du nombre de résultats qui ne sont pas tombés dans l’oubli tellement le phénomène contraire est important. Car dans l’ensemble des résultats obtenus tout au long de l’évolution de la science, il n’est pas évident que ceux qui sont connus et non oubliés représentent la majorité. Les découvertes de l’histoire des sciences ne vont pas dans ce sens en tout cas. Et c’est pour cette raison que le modèle épistémologique de la science doit être plus élaboré car la situation est bien plus complexe. Aussi à présent que nous découvrons la puissance des algorithmes généraux en mathématiques il serait judicieux de se poser la question de l’adéquation du modèle darwinien à l’évolution de la science.