1569 - L’influence de Feyerabend sur l’heuristique
N. Lygeros
En limitant l’œuvre de Paul Karl Feyerabend à l’épistémologie, nous ne mettons pas en évidence les points dynamiques de sa contre-méthode. En élargissant le contexte à la recherche et aux processus heuristiques, il est plus aisé de voir son apport. En effet, dans le cadre du brainstorming et de la résolution de problèmes surtout si ceux-ci appartiennent aux mathématiques cognitives via les problèmes ouverts, il est absolument nécessaire d’effectuer des brisures conceptuelles et de réfléchir avec des raisonnements non uniformes. Ainsi les outils fournis par Popper et Kuhn peuvent être appliqués à petite échelle dans un groupe de recherche par exemple. Dans ce cadre, il est possible de faire naître et mourir toute une série de théories qui doivent être réfutées et/ou modifiées dans le travail de synthèse de Lakatos. Mais ce dernier ne pourrait être efficace, s’il n’était pas lui-même plongé dans la structure anarchiste de Feyerabend. Car c’est la seule qui puisse permettre la découverte de solutions intelligentes dans un contexte extrême. Le caractère extrême de sa contre-méthode en épistémologie, devient tout à fait naturel dans le cadre de l’heuristique. Cela ne signifie pas pour autant que cette méthodologie n’exploite pas des schémas mentaux plus profonds. Feyerabend remet en cause le système dans son ensemble mais non la pensée. Car toute sa lutte se concentre sur le principe de la liberté axiomatique. En ce sens, il poursuit l’œuvre de Gödel et de Turing. Et il prépare le terrain pour des avancées comme celles de Chaitin via les travaux de Matiajevic. Dans ce contexte où tout doit être permis car les problèmes sont ouverts par nature, l’approche de Feyerabend devient un outil cognitif puissant. Et l’exploitation de théories ad hoc est encore plus naturelle puisqu’elles ne représentent que des étapes intermédiaires qui sont à la recherche du même but. Car ce dernier ne change pas malgré l’absence d’une problématique universelle. De plus, à l’instar d’une théorie mentale comme nous l’avons décrite dans notre article sur les modèles, les méthodes ad hoc permettent de gagner du temps afin de mettre en place une théorie qui n’est pas encore suffisamment stable et robuste pour affronter le critère de l’expérience. Via la méthode ad hoc , la structure de la théorie considérée peut être approfondie. Un cas tout à fait caractéristique c’est celui de l’introduction par Max Planck de la constante qui porte désormais son nom afin d’asseoir ce que nous nommons maintenant les bases de la première forme de la mécanique quantique, pour expliquer le phénomène de la catastrophe ultra violette dans le problème du rayonnement du corps noir. Cette introduction a été faite de manière ad hoc sans une véritable compréhension du phénomène par Max Planck, il faudra attendre l’intervention d’Albert Einstein et son explication du phénomène photoélectrique pour parler véritablement d’approche quantique alors qu’à cette époque le formalisme de la mécanique quantique n’existait pas encore. La découverte n’a pas eu besoin du formalisme de la théorie, ni du dogmatisme de la méthodologie classique. Elle s’est effectuée grâce à l’exploitation non conventionnelle d’une méthode qui est du point de vue heuristique une véritable contre-méthode à la façon de Feyerabend.