1557 - Les risques de l’autisme étatique.
N. Lygeros
La puissance du raisonnement par l’absurde ne doit effacer l’absurdité du raisonnement de l’impuissance. L’incapacité à gérer une invasion et une occupation de longue date ne doit pas servir de prétexte à un autisme politique et même étatique. Notre ennemi doit avoir un nom même s’il ne nous reconnaît pas. L’absence d’un ennemi commun ne peut créer que des tensions internes car chaque élément de la résistance ne perçoit pas de la même manière l’impact de l’oppression. Il ne s’agit pas seulement d’une erreur tactique et stratégique mais aussi psychologique. Car même un solipsisme volontaire peut être interprété comme un autisme profond. De plus l’absence d’ennemi commun ne permet pas la mise en place naturelle de liens avec d’autres causes. Aussi ces dernières apparaissent quelque peu marginales alors qu’elles pourraient être organisées et former le noyau étendu d’une résistance efficace.
Tant que la Grèce ne dénoncera pas publiquement et par écrit les violations de son espace aérien et maritime, la Turquie pourra considérer cette situation comme normale et même parler de casus belli en cas de changement stratégique.
Tant que la Grèce et Chypre parleront de dogme défensif unifié dans un contexte qui est remis en cause par le dogme stratégique turc, elles ne pourront ni revendiquer leurs droits ni leurs acquis.
Tant que Chypre ne reconnaîtra pas que l’invasion et l’occupation n’ont rien à voir avec la population turco-chypriote mais bien d’actes de guerre illégaux, elle ne pourra sortir de l’enclave diplomatique.
Tant que l’Arménie ne reconnaîtra pas que la Turquie occupe la partie occidentale de son territoire, elle ne pourra revendiquer son existence.
Tant que les combattants de ces causes ne comprendront pas qu’aucune alliance ne sera possible tant qu’ils ne se seront pas mis d’accord sur l’existence d’un ennemi commun, les changements politiques ne pourront être profonds. La communauté internationale ne pourra jamais accepter l’existence des victimes sans l’accusation des bourreaux. Accuser un bourreau de génocide ne signifie pas que nous reconnaissons son ontologie mais sa téléologie. Lorsqu’un état tout entier se crée sur les vestiges d’une civilisation grâce à sa barbarie, c’est être autiste que de ne pas le reconnaître.
La cause arménienne n’est pas le peuple arménien. Si ce dernier peut se définir sans une intervention extrinsèque, ce n’est pas le cas pour la cause. Celle-ci n’existe qu’à travers l’interface diplomatique avec le monde. Elle est l’élément de résistance qui procure indirectement l’existence d’un état. L’arménité ne peut être réduite à l’Arménie. Mais une résistance sans ennemi ne peut exister car elle n’a pas de sens. Et dans tous les cas, ce sens ne peut être compris. Ce n’est pas en niant l’existence du négationnisme que nous parviendrons à faire reconnaître celle du génocide des Arméniens. Le génocide même de manière implicite ne peut définir l’arménité. Cependant les Arméniens d’aujourd’hui appartiennent à son futur. Ils doivent vivre la mort pour avoir enfin le droit de mourir en Arméniens et la transcendance du génocide passe par la reconnaissance de l’ennemi.