1529 - L’aspect expérimental des mathématiques
N. Lygeros
Alors que l’aspect expérimental des mathématiques est nécessaire non seulement pour elles-mêmes mais aussi pour leur apprentissage, la tendance générale est de ne pas en tenir compte afin d’insister sur leur caractère prétendument dogmatique. Le problème provient tout d’abord du fait que les mathématiques sont considérées comme une science par la majorité des personnes alors que les spécialistes et les professionnels la tiennent plus pour un art. Cette différence de point de vue se retrouve donc dans l’extension de celui-ci. Cependant il faut bien se rendre compte que même les mathématiques pures et en réalité surtout les mathématiques ne se développent que via l’expérimental même si celui-ci ne semble que mental. En admettant ce nouveau cadre de pensée, il est plus facile de comprendre le sens de l’expression d’Albert Einstein i.e. expérience de pensée. Sans l’aspect expérimental, les mathématiques ne seraient qu’un système déductif dépourvu de toute induction ou abduction. Seulement dans ce cas nous ne parlerions que de mathématiques automatiques et non des mathématiques dans leur ensemble. Nous ne parlerions que de calcul proportionnel et non de logique afin d’éviter les problèmes de type gödelien. De plus il serait extrêmement difficile de parler de créativité puisque celle-ci serait de facto réduite à néant. De même, comment comprendre le sens d’une conjecture, surtout si celle-ci résiste durant de nombreuses années voire parfois des siècles aux différentes stratégies développées pour la résoudre. Eviter de parler de l’aspect expérimental des mathématiques semble résoudre des problèmes de fondements. Cependant comme ces derniers ne peuvent être fixés comme l’aurait souhaité David Hilbert en raison de l’existence du théorème d’incomplétude, il est inutile de s’en servir comme prétexte pour lutter contre l’expérimental.
L’aspect expérimental des mathématiques provient directement du fait qu’elles constituent un art où sans l’expérience il n’y a pas de création. Aussi, il est nécessaire d’incorporer cet aspect dans la didactique elle-même des mathématiques. L’étudiant ne peut pas simplement se contenter d’apprendre, il doit comprendre et pour cela il doit pouvoir effectuer des expériences conceptuelles pour intégrer des notions qui ne sont ni triviales ni élémentaires. L’abstraction est dans la nature des mathématiques, dans leur noyau cognitif. Cependant elle ne s’oppose pas à l’aspect expérimental. Au contraire, sans se contenter à écouter l’étudiant doit entendre, mais pour entendre l’abstraction, il faut l’expérimenter pour finalement la maîtriser. Cette maîtrise de l’abstraction s’effectue entre autres, grâce à l’outil expérimental qui concrétise non pas l’abstrait car cela est impossible, mais l’idée que nous avons de l’abstrait. De plus l’expérimental peut devenir formel en s’imposant des conditions pour démontrer un résultat à partir d’un autre sans avoir le droit d’utiliser l’ensemble de ses connaissances. Ainsi l’expérimental devient cette fois un outil pour comprendre les liens qui existent entre deux entités qui peuvent être abstraites. L’expérimental ne traite pas seulement les objets mais aussi les relations qui existent entre eux. Cela est d’autant plus important qu’elles structurent l’ensemble des données. Car un point critique dans toute cette approche c’est la notion de cohérence qui doit sans arrêt être testée afin de faire évoluer la compréhension globale du système organique. L’aspect expérimental des mathématiques se trouve donc au cœur de son système via la notion d’heuristique.