1068 - Encore une plaisanterie
N. Lygeros
Il est donc si difficile d’être simple, pensait-il. Tout convergeait vers cette idée. Les évènements des derniers jours avaient fini par le convaincre. Sans y prendre garde, il s’était enfoncé dans les sables mouvants des procédures. Auparavant, il aurait pensé que c’était une plaisanterie. Désormais, il savait qu’il s’agissait bien d’une plaisanterie mais elle avait le sens que lui donnait Kundera. Cela n’avait bien sûr rien à voir avec un régime politique quelconque. La cause était sociale et la cause était entendue.
C’était tout de même incroyable, se dit-il. Il avait lu le procès de Kafka. Initialement pour connaître cette oeuvre qui n’aurait jamais du exister, puis pour comprendre le mode de pensée de Joseph K., enfin pour pénétrer dans les méandres de l’absurde. Mais maintenant cet absurde était omniprésent. Il s’était échappé de l’oeuvre. Désormais, il écrivait sa propre histoire. La bibliothèque l’avait convoqué sans aucune explication. Il avait sans doute oublié de rendre le livre. Alors il avait regardé la date de retour mais elle était fausse ou plutôt elle n’avait pas de sens. Elle était plus ancienne que sa date de naissance, comme si le livre avait été emprunté par un de ses ancêtres. C’était une explication comme une autre. Mais le plus absurde c’était qu’elle était effectivement l’explication.
Alors il s’était replongé dans le livre afin de déceler le moindre détail qui lui donnerait une explication à l’explication de l’absurde. Il avait fini par trouver de légères annotations au crayon à papier. Seulement comment savoir s’il s’agissait vraiment de son ancêtre. Il décida alors de noter tous les mots soulignés. Il en rechercha le sens pendant plusieurs heures comme pour déchiffrer un code secret. Aussi quel ne fut pas son étonnement en regroupant les premières lettres de chaque mot et en découvrant la phrase suivante :
«Ceci n’est pas un code secret.»
Un homme à des années de lui avait annoté le procès de Kafka d’une manière très discrète en choisissant précisément des mots de manière à former un message dont le contenu était celui-ci. Et lui avait déchiffré un code secret qui n’en était pas un ! Au début, il avait souri. Et puis cette idée absurde avait fini par envahir son esprit au point qu’il se demandait si l’absurde avait un sens. Il était conscient que cela n’avait pas de sens. Aussi il avait rendu le livre à la bibliothèque, en désespoir de cause.
Cependant, au moment où il partait, on lui fit remarquer qu’il avait oublié un autre livre. Il le prit sans demander aucune explication. Arrivé chez lui, il parcourut les annotations au crayon à papier du château de Kafka.
«Ceci est un code secret.»