10478 - La carte de la Troisième Croisade
N. Lygeros
L’examen de la carte de la Troisième Croisade apporte des éléments de géostratégie indéniables. Tout d’abord, il ne faut pas la considérer comme un échiquier vierge de tout combat. Il est certain que cette carte dépend grandement de la seconde croisade mais pas uniquement du point de vue topostratégique, elle a de nombreux éléments caractéristiques. Commençons donc par les Terres Saintes. Précédemment les États Latins d’Orient sont en contact avec le Royaume des Fatimides, les Grands Seldjoukides et le Sultanat Seldjoukide de Rome, sans tenir compte de l’Arménie de Cilisie. La situation au moment de la Troisième Croisade est plus simple, si l’on ose s’exprimer ainsi dans le contexte, puisque cette fois le contact se fait exclusivement avec le Dominion de Saladin. Aussi il faut désormais interpréter les États Latins comme un trou topologique dans cette nouvelle structure qui n’aura de cesse de les éliminer pour avoir un accès total sur la côte et établir sa suprématie dans la région. D’un autre point de vue, il s’agit d’une poche de résistance qu’il faut soutenir coûte que coûte afin de garder le contact entre l’Occident et l’Orient indépendamment des conquêtes musulmanes. Cette Troisième Croisade correspond donc à une expédition de sauvetage dans un premier temps et de consolidation des bastions de résistance dans un second temps. Certes ce point de vue ne sera effectif qu’après les batailles de Saint-Jean-d’Acre, d’Arsouf et de Jaffa. Mais revenons à la situation sur l’échiquier initial. Alors que le Royaume de Chypre, semble un point d’ordre logistique important, il n’était pas prévu dans le plan initial de la coalition des deux rois d’Angleterre et de France et ce n’est qu’en raison de la tempête qui gêna les Richard Cœur de Lion qu’il devint un point clef par la suite. Il s’agit d’un phénomène de serendipity et pas seulement d’opportunisme tactique. Cette île a permis de soutenir les États Latins en fonctionnant en somme comme une profondeur stratégique pour le front de la guerre. Il est aussi facile de comprendre l’acharnement de Saladin ainsi que sa barbarie à l’encontre des Templiers et des Hospitaliers qu’il considérait comme les ennemis jurés de l’islamisme. Il est vrai qu’ils représentaient des points d’ancrage de la chrétienté au service des pèlerins et de la Sainte-Croix. Plus en amont, les Royaumes européens voulaient conserver ce point comme un élément symbolique d’une part et stratégique d’autre part en raison du contexte géostratégique. Il s’agit donc d’une procédure de reconquête à l’instar de ce qui s’est passé dans le sud de la France mais aussi dans le sud de l’Espagne de manière à conserver un espace compact et connexe dans la région et à épouser la frontière naturelle de la côte ibérique. C’est ce même raisonnement que tente de mettre en place Saladin mais il se retrouve avec des places fortes qui jouent le rôle de mines stratégiques pour son projet d’élimination des Francs en Terre Sainte. Enfin la polarisation de la guerre entraîne un climat d’exaltation religieuse qui ne peut pas manquer d’évoquer la Première Croisade. C’est une erreur stratégique de grande envergure de la part de Saladin qui ne peut prévoir l’ensemble de ses conséquences.