7368 - Application du schéma mental de conflit gelé à l’Artsakh. (avec P. Gazzano)

P. Gazzano, N. Lygeros

Dans un cadre polémologique, un conflit gelé correspond à un équilibre instable i.e. une situation d’instabilité dans une période d’équilibre. Aussi cet équilibre peut à tout moment changer de phase. Ainsi nous avons l’apparent paradoxe de la paix instable qui se stabilise au sein de la guerre, même si ce paradoxe peut être levé dans un schéma conceptuel appartenant à la doctrine de Clausewitz. Il est donc plus convenable au sens de l’adéquation de la terminologie, de parler d’une paix de facto, mais non de jure, et d’une guerre de jure et non de facto. Cette proposition peut être éclairée de la manière suivante. Tant qu’il n’y a pas de paix officielle, nous sommes en droit de considérer que nous nous trouvons dans une situation conflictuelle qui relève de la guerre. Ceci correspond de nouveau à une idée de Clausewitz qui reconnaît dans la guerre un caractère caméléonien. Par ailleurs, étant donné que nous n’avons pas de combats visibles, ou pour employer d’autres termes, nous n’avons pas de conflit ouvert, il est difficile de parler d’une guerre proprement dite. Ce schéma mental stratégique peut s’expliquer par l’impossibilité d’une attaque directe ou du moins par la persuasion des deux parties, de cette impossibilité. De plus, comme aucune des deux parties, n’ose une attaque oblique d’ordre offensif, le conflit ne peut se résoudre par la force, mais à défaut de négociation effective et efficace, les belligérants potentiels maintiennent le statu quo afin d’éviter un changement de phase qui pourrait avoir des conséquences négatives pour eux. En d’autres termes, il ne s’agit pas d’un cessez-le-feu formel car dans ce cas-là, il y aurait un accord mutuel sur l’arrêt du conflit alors que ce n’est pas le cas dans le cadre d’un conflit gelé. Si nous généralisions ce schéma mental stratégique, nous aurions le concept de guerre froide.

À présent, si nous appliquons ce schéma mental stratégique à l’Arménie et l’Azerbaïdjan, il est clair que sa réalisation correspond à la problématique de l’Artsakh. En effet, il n’y a pas de conflit à proprement parler entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, mais officiellement, il n’y a pas de paix non plus. D’ailleurs cette situation n’est pas sans conséquence, comme nous le savons, sur les relations entre l’Arménie et la Turquie. Il serait aussi possible de l’appliquer en le modifiant quelque peu, dans un cadre complètement différent, en termes de durée temporelle, à savoir le problème de la Corée ou celui du Vietnam. Dans ces situations, il semble qu’aucun des participants ne peut renverser la situation en sa faveur, ce qui fait que le conflit s’éternise dans le temps. Mais revenons à notre application spécifique. Ce serait une erreur que de considérer l’Arménie et l’Azerbaïdjan comme deux entités complètement indépendantes de la sphère d’influence russe. D’une part, pour des raisons historiques qui les relient via l’entité que représentaient l’Union Soviétique et d’autre part, pour des raisons topostratégiques comme le montrent nos cartes ci-dessous. Il est de plus indispensable de saisir l’impact du redéploiement stratégique de la Russie. Lorsque ces pays appartenaient à l’U.R.S.S., il n’y avait pas de conflit puisque la Russie servait de juge et d’arbitre. Aussi la question ne se posait pas, en raison de la puissance colossale de la Russie qui représentait une force de dissuasion. Mais lors de l’effondrement de ce bloc, les revendications territoriales d’indépendances ou de réunifications ont éclatées : l’Abkhazie, l’Artsakh, la Crimée, l’Ossétie, et la Tchétchénie. Il ne s’agit donc aucunement d’un jeu à deux joueurs comme nous pourrions le penser via une approche simpliste. Aussi, il est nécessaire de se placer dans le contexte de la théorie des jeux et même dans un cadre qui correspond à celui de Nash et non de Morgenstern et von Neuman. C’est uniquement avec ce type d’outil que nous pouvons saisir réellement la complexité de l’enjeu de ce conflit gelé particulier.

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Carte chromatique du Caucase

 

Triangularisation des relations du Caucase

 

 

Schéma topostratégique du Caucase