618 - Une approche didactique du problème du cavalier

N. Lygeros

A deux reprises, le 25/07/03 et le 28/07/03 avec deux groupes de dix enfants de huit à douze ans, nous avons mené une étude particulière au cours d’un séminaire que nous avons intitulé Développement et Créativité. Le problème du cavalier, à savoir l’occupation maximale d’un échiquier via les mouvements classiques du jeu d’échecs, appartenait à la catégorie qui concernait le développement. Dans une précédente prospection, dans le cadre de la préparation des enfants pour les olympiades internationales de Mathématiques, nous avions remarqué les difficultés d’appréhension de ce type de problèmes fluides et ouverts. Aussi nous avons voulu approcher le même type de problème dans un cadre moins difficile mais avec des enfants plus jeunes. Sans aucun autre préambule, si ce n’est l’explication des mouvements du cavalier, le cours a commencé avec le problème de la couverture optimale d’un échiquier 3×3. Afin de permettre un dialogue interactif entre les enfants, nous avons introduit la notation codée des cases de l’échiquier avec les lettres pour les colonnes et les chiffres pour les lignes. Cette manière de faire est tout à fait possible à partir de huit ans et même avant pour des enfants qui n’ont pas de difficultés particulières pour l’écriture. Dans un premier temps nous avons mis en évidence les possibilités quant aux mouvements du cavalier à partir de la position initiale (case A1). Ensuite après quelques essais, les enfants voyaient sans nécessairement le comprendre que le premier mouvement choisi rendait obligatoire tous les suivants. Par ce biais, ils arrivaient relativement facilement à obtenir le résultat optimal à savoir 8 cases atteintes et découvraient a posteriori que la case centrale était inaccessible par le cavalier.

L’étape suivante consistait cette fois à considérer un échiquier 4×4. Dans ce nouveau cadre, beaucoup plus vaste que le précedent, l’enfant peut exploiter sa liberté de mouvements et activer sa fluidité dans un espace-problème plus grand. Pour les enfants les plus jeunes la première difficulté consistait en la représentation même de l’échiquier. En effet, pour certains d’entre eux, seules les colonnes avaient un sens et pour d’autres l’échiquier n’était pas du tout un assemblage de 16 cases. Nous avons dépassé ces difficultés par l’apprentissage explicite de la construction de la grille de l’échiquier. Pour le problème proprement dit, les enfants ne sont jamais parvenus immédiatement au résultat optimal. Mais en essayant plusieurs fois, ils ont remarqué certains obstacles que nous avons explicités comme la notion de bord, celle d’angle et celle du degré de liberté des cases. C’est ainsi que pour les plus grands nous avons pu mettre en évidence le schéma d’une preuve de l’optimalité du résultat obtenu à savoir 15 cases atteintes.

Pour les plus avancés, nous avons remarqué qu’ils formulaient naturellement la conjecture suivante : avec les mouvements du cavalier, nous pouvons couvrir tout l’échiquier excepté une case. Aussi pour contrer cette idée, nous avons étendu le problème à un échiquier 5×5. A cette occasion nous avons pu observer un changement de phase dans la complexité du problème puisque celui-ci devenait essentiellement imposssible pour la plupart d’entre eux malgré de nombreuses tentatives. Les plus petits perdaient patience et les plus grands s’obstinaient à tenter des essais similaires. C’est ce moment précis que nous avons choisi pour expliquer en profondeur l’heuristique qui émerge de la réalisation de la grille des degrés de liberté. Comme les enfants étaient généralement dans une impasse insurmontable, ils étaient très interessés par une méthode différente. Ensemble, nous les avons incités à obtenir d’eux-mêmes les nombres de la grille et nous avons obtenu des résultats très rapidement. Après avoir expliqué comment nous pouvions exploiter cette grille en explicitant l’idée de la symétrie circulaire (isotropie), tous les enfants tentaient cette nouvelle méthode sans tenir compte de leurs précédentes tentatives et la plupart aboutissaient au résultat de complétude qui représentait en lui-même la démonstration de l’optimalité.

Malgré la cristallisation finale, il nous a été possible de mesurer la plasticité des enfants face à de nouvelles méthodes aussi bien personnelles que conseillées. En exploitant ces approches pour un échiquier 7×7, nous avons mis en évidence que même à cet âge nous pouvions faire découvrir les premières étapes de l’acquisition de méta-heuristiques dans la résolution de problèmes ouverts de la même famille sans pour autant appartenir strictement à la même catégorie.