4752 - De la continuité à la tonalité chez Leonardo da Vinci

N. Lygeros

« Les peintres routiniers distinguent dans tous les objets ombrés, arbres, prés, cheveux, barbes, fourrures, quatre valeurs pour chaque couleur représentée: d’abord un fond obscur, en deuxième lieu, une tâche (plus claire) qui suit la forme des détails, troisièmement une partie plus claire et mieux définie, quatrièmement, les reflets qui retiennent l’œil plus que le reste de l’objet. Mais il me semble moi, que la variété (des tons) est infinie sur une surface continue et en soi divisible à l’infini… »

Leonardo da Vinci met en place une problématique qui n’est pas simplement celle de l’opposition entre discret et continu. Il écrit véritablement sur le problème de la modélisation de l’espace sur le tableau. Le traitement ne peut-être aussi grossier que celui de ses prédécesseurs et même de ses contemporains, car il y a une volonté chez lui de rendre compte de la nature elle-même. Sa problématique est donc celle de représentation fidèle. La fidélité de la représentation n’est pas une mince affaire. Il s’agit de conserver un isomorphisme dans le cadre d’une projection qui en principe perd des informations. En réalité, Leonardo da Vinci désire plus, au moins un homéomorphisme si ce n’est un difféomorphisme. Mais il a lui aussi besoin de quantifier comme le montre son analogie avec la musique, à propos de la perspective aérienne.

« Bien que les choses soumises à la vue forment une suite continue, je ferai cependant ma règle de vingt en vingt brasses, comme le musicien pour les sons qui sont unis et joints ensemble mais qui sont pourtant reçus de petits intervalles de son à son nommés prime, seconde, tierce, quatre et quinte, et aussi de degré en degré, avec des noms pour toutes les variations de la voix vers l’aigu au grave ».

Pour un homme qui s’est d’abord fait connaitre comme un virtuose de luth, cette analogie ne doit pas nous surprendre. De plus les similitudes entre le son et la lumière sont pour ainsi dire diachroniques dans l’histoire de l’art. En tout cas, le problème devient plus concret pour Leonardo da Vinci, dans cet espace discrétisé puisqu’il revient à rechercher dans la continuité la tonalité adéquate. Cette recherche dans le cadre de la fidélité de la représentation, devient plus scientifique qu’artistique. Ce n’est pas encore de la reconstruction de couleurs que nous pouvons effectuer désormais grâce aux produits de synthèse mais l’idée de la modélisation est bien là. D’ailleurs Leonardo da Vinci ne se contente pas d’une vision seulement théorique comme le montre l’exemple qui suit:

« Ceux qui ne veulent pas se fier tout à fait à leur jugement pour imiter les vraies couleurs des feuilles, doivent prendre une feuille de l’arbre qu’ils veulent représenter, et mélanger sur elle leurs couleurs, et si la couleur du mélange devient indiscernable de celle de la feuille, tu seras sûr qu’elle représente exactement cette feuille, et tu pourras procéder ainsi pour les autres (essences) à peindre ».

Ce n’est pas un cas dégénéré de sa théorie de la lumière mais un cas simple qui permet à un débutant de s’initier au problème de la modélisation et non de la peinture.