384 - Poignées de vie

N. Lygeros
Traduit du Grec par A.-M. Bras

Georges

Ils ont dit que nous n’avons pas le droit d’y aller.

Andri

Mais pourquoi ?

Christos

Ils ne veulent pas d’enfants…

Styliana

Nous ne sommes pas seulement des enfants, nous sommes aussi des hommes.

Georges

Je le sais, pourtant…

Andri

Pourtant quoi ?

Christos

Ils ne voient que les enfants et non les hommes.

Maria

Chacun ne voit que ce qu’il comprend…

Yanna

Pourquoi dis-tu cela ?

Georges

Marie dit toujours la vérité.

Charis

Nous devons prendre une décision !

Théodore

Mais les autres ne sont pas encore arrivés.

Andri

Théodore a raison, nous devons attendre les autres…

Christos

Alors il sera trop tard !

Maria

Nous sommes seuls…

Styliana

Et les autres sont nombreux !

Georges

Alors ils ne nous attendront pas… Un temps. Nous devons les surprendre.

Théodore

Les nôtres n’y sont pas parvenus. Un temps. Que pouvons-nous faire ?

Maria

Ce que les autres n’ont pas réussi à faire.

Aris

Tu as perdu la tête ? Nous n’avons pas d’armes. Silence.

Christos

Les armes c’est notre terre qui nous les donnera.

Georges

Nos armes, ce seront nos pierres.

Andri

Les pierres que mangeaient nos grands-pères.

Théodore

Les balles ne chercheront pas à savoir si nous sommes des enfants.

Andri

Elles nous tueront comme elles ont tué nos ancêtres.

Christos

Effet de surprise. Seulement si Dieu le veut.

Georges

Puisque nous n’avons pas le droit de vivre comme des hommes, mourrons comme des hommes.

Maria

Alors ils comprendront ce que nous sommes.

Andri

Vous êtes fous…

Théodore

Qui regardera nos corps étendus ? Un temps. Et vous savez pourquoi ? Un temps. Car nous n’existons pas.

Christos

En vie, nous n’existons pas.

Georges

Nous existerons en mort ?

Andri

Nous n’avons qu’une vie.

Maria

Et une seule patrie.

Christos

Notre seule valeur c’est notre oeuvre.

Charis

Alors nous devons aller au poste de garde de la mémoire.

Théodore

A côté du barrage de l’oubli.

Maria

Là où le vert signifie mort.

Georges

C’est là-bas que ressuscitera notre Chypre.

Christos

Je pars prévenir les autres enfants.

  Il part.

Andri

Les autres hommes. Silence.

  Christos se retourne et la regarde. Il sourit et part.

Charis

Avant d’aller là où il n’y a pas de frontière nous devons emporter nos pierres.

Maria

Ce ne sont pas seulement nos pierres ce sont les pierres de la mémoire.

Théodore

Notre mémoire est devenue pierre.

Georges

Et nos pierres des armes.

Styliana

J’ai peur…

Charis

Tu as peur de quoi ?

Styliana

La mémoire est un malheur. Un temps. La mémoire est une blessure. Un temps.

Georges

Toute notre vie est une blessure ouverte. Un temps. Tu ne dois pas craindre la mémoire. Un temps.

Maria

Notre mémoire c’est notre humanité.

Styliana

Alors je dois espérer.

Georges

Non.

Styliana

Mais alors ?

Georges

Tu dois te battre ! Un temps. Tu dois te battre pour la lumière du noir.

  Silence.