1568 - Sur la contre-méthode de Feyerabend

N. Lygeros

Dans le domaine de l’épistémologie, il est essentiel de se concentrer sur ses fondements. Pour ce faire, les œuvres de Popper, Kuhn et Lakatos sont indispensables afin de mettre en évidence l’apport de Feyerabend.

Popper apparaît comme le premier chercheur du domaine à affronter le dogmatisme latent de son époque. En tant qu’outil, le critère de Popper permet de situer le contexte scientifique et d’agir comme le rasoir d’Occam sur ce que nous nommons théorie scientifique. Limpide et efficace, il n’est pas sans rappeler le formalisme mathématique. Tandis que le choix de Kuhn semble plus approprié à la modélisation en physique. Néanmoins comme nous l’avons vu dans un article précédent via l’œuvre de Lakatos, une synthèse est possible entre ces deux approches. Aussi, il est désormais possible de les considérer comme des éléments complémentaires dans le cadre théorique de Lakatos. Cependant il ne faudrait pas autant jauger le travail de ce dernier via la complétude sans faire intervenir l’apport de Feyerabend.

Paul Karl Feyerabend avait obtenu une bourse pour travailler sous la direction de Ludwig Wittgenstein. Malheureusement le décès de celui-ci ne permit pas la rencontre de ces deux hommes. Ce fut donc à Karl Popper qu’échut la direction. Par la suite, il rencontra un autre élève de Popper, à savoir Imre Lakatos. De nouveau, la mort de ce dernier mit à mal la réalisation d’un projet commun à savoir un dialogue à travers un livre intitulé Pour et contre la méthode. Malgré tout Feyerabend écrivit sa partie qui devint son œuvre la plus célèbre à savoir Contre la méthode où il explicite le rejet de toute méthode universelle dans la logique de la découverte. En d’autres termes, il introduisit pour la première fois, et ce de manière systématique, la pensée anarchiste dans le processus heuristique.

A la manière de ces prédécesseurs, il exploite des exemples et des paradigmes qui proviennent de la physique et particulièrement de la mécanique quantique. Il promeut l’anarchisme théorique car c’est celui qu’il considère comme le plus humain parmi les systèmes d’organisation car il n’impose pas de règles fixes. Sans étude approfondie de son apport, le point de vue de Feyerabend peut sembler quelque peu extrême surtout au niveau de la méthodologie. Néanmoins l’examen des cas qu’il traite montre bien qu’il existe une nécessité d’aller dans ce sens. Il ne va pas à l’encontre de la science. Il met en évidence que cette dernière remet elle-même en cause le formalisme et il l’explicite avec l’utilisation des méthodes ad hoc. Sa contre-méthode, c’est la méthode du contre-exemple et dans ce sens il suit les traces de Lakatos dont les efforts peuvent être réinterprétés comme l’application d’un point de vue anarchiste de l’heuristique. Il dénonce de plus les choix prétendument rationnels en les replaçant dans un contexte esthétique lorsqu’il traite le cas du critère de la consistance. Car ce dernier qui est interprétable comme une forme de conservatisme peut donner artificiellement l’avantage à la théorie en crise par rapport à la nouvelle théorie concurrente. Feyerabend n’attaque pas directement le système. Il l’utilise contre lui-même à la manière de Gödel pour démontrer qu’il n’est pas robuste.