13388 - Commentaires sur la notion de transformation navale de Coutau-Bégarie. (avec P. Gazzano)

P. Gazzano, N. Lygeros

Un spectre hante les marines en ce début du troisième millénaire, celui de la Transformation. Apparu avec l’administration Bush, ce thème a connu un succès prodigieux. Il constitue l’application aux marines de la Révolution dans les affaires militaires.

Les propos de Coutau-Bégarie sont loin d’être une exagération. Sur les plans théorique et pratique, il s’agit d’une véritable révolution conceptuelle dans le domaine de la stratégie maritime qui pourrait aisément entré dans le cadre d’une thalassostratégie.

La transformation est l’aboutissement d’une évolution doctrinale marquée par un passage des doctrines de guerre froide, dont la dernière fut The Maritime Strategy publiée par l’US Navy en 1982, au cours des années Reagan, aux doctrines d’après-guerre froide: From the Sea, publiée par l’US Navy en 1992 et revue deux ans dans Forward… from the Sea, ces deux intitulés témoignant du glissement de la haute mer à la zone littorale. Dorénavant, les nouvelles menaces si situent a proximité des côtes, avec les risques en provenance de l’aviation basée à terre, des missiles côtiers, des mines posées par petits fonds. Désormais l’US Navy accorde une attention croissante à ces menaces, dites Anti-acces et Area denial.

La puissance de feu maritime permet de faire un déplacement sémantique et fonctionnel. Il na s’agit plus de considérer simplement une opposition de navires de guerre qui peut mener au maximum à une bataille navale mais de se placer en vis-à-vis par rapport à la terre via la notion de côte. Cela revient à voir la côte comme un élément d’interface symétrique et non plus comme une extrémité de la terre.

Le résultat est la nouvelle doctrine Sea Power 21, publiée en 2002 qui repose sur trois composantes: Sea Strike: C’est la capacité de projeter une puissance offensive précise et durable depuis la mer. Sea Shield: C’est la capacité des forces navales à se défendre, à contribuer à la défense du territoire, à projeter un bouclier défensif pour aider à protéger les amis et alliés des US et à fournir une défense anti-missiles stratégiques et de théâtre basée en mer. Ce bouclier maritime se décline sur plusieurs plans: un plan purement tactique, un plan opératif pour assurer une sécurité de zone, notamment en cas d’opération interarmée, c’est à dire amphibie: un plan stratégique enfin, avec la contribution des forces maritimes à la sécurité du territoire des USA et de leurs alliés. Sea Basing: C’est la capacité des forces navales à opérer en mer, libérées des problèmes d’accès et de contraintes politiques liés à l’utilisation de bases terrestres en pays étrangers.

Cette triple manière d’aborder les activités, tout en se plaçant sur trois niveaux : tactique, opérationnel et stratégique, donne une ampleur à l’ensemble du dispositif qui était simplement impensable quelques années auparavant.

L’idée centrale est de cesser de penser en nombre de navires et de puissance individuelle pour raisonner en termes de réseaux et de distribution. C’est la network centric warfare. La supériorité informationnelle dont dispose l’US Navy sera encore plus renforcée par la mise en réseau de senseurs multiples qui n’auront plus besoin d’être tous embarqués. L’exemple que l’on veut suivre est évidemment celui du commandement central qui dirige ses drones et ses missiles en temps réels sur le théâtre du Moyen Orient depuis un quartier général situé en Floride.

C’est à ce niveau qu’il est plus facile d’apercevoir la vision topostratégique de l’ensemble puisque nous voyons l’exploitation de la notion de réseau et de distribution, qui ont des connotations fortement topologiques. Il ne s’agit plus d’être nécessairement près mais d’être en relation via la technologie. Aussi la notion de présence militaire est plus diffuse et par conséquent plus furtive, ce qui va dans le sens de la stratégie contemporaine.

La doctrine de la Transformation apparaît donc aussi probablement d’abord comme un moyen d’influence qui se substituerait à une puissance déclinante. La projection dans le futur permet d’occulter les difficultés du présent. Le processus qu’elle décrit n’est pas sans signification technique. Mais le modèle qu’elle suggère n’est pas à reproduire tel quel au détriment de stratégies nationales mieux adaptées aux besoins et aux moyens des autres pays.

Cette mise au point met en évidence la difficulté d’appliquer cette stratégie efficace à l’ensemble des pays. Cependant, cela ne représente pas un problème quand nous sommes conscients qu’il ne s’agit pas d’une panacée stratégique. Elle indique tout de même, la puissance de l’approche topostratégique à l’opposé d’une vison géostratégique classique qui a démontré de manière effective ses limites dans certains conflits.