1189 - Le dialogue démonstratif de Leonardo da Vinci

N. Lygeros

Dans les parties mathématiques des manuscrits de Leonardo da Vinci il est non seulement possible de voir ses qualités analytiques mais aussi sa manière d’aborder une proposition, une thèse ou une théorie d’un ancien créateur. Dans cette façon de faire nous retrouvons plusieurs traits de son génie comme son approche directe face à un interlocuteur même si ce dernier est abstrait. Un cas précis que nous avons à l’esprit concerne une des propositions de Xénophon. L’analyse de Leonardo da Vinci se trouve dans le manuscrit K 61 (12) recto et verso. Tout d’abord il cite.

« Ici, une des propositions de Xénophon est inexacte :

Si des choses inégales sont retranchées de choses inégales qui soient dans la même proportion que la première inégalité, le reste aura même proportion d’inégalité. Mais si de choses inégales tu ôtes des choses égales, le reste sera toujours inégal, mais non plus dans la même proportion. »

Ensuite il analyse les deux parties de l’affirmation de Xénophon afin d’utiliser la première pour mettre en évidence le défaut de la seconde. Il va exploiter pour cela un exemple numérique élémentaire qui permet d’exhiber simplement un contre-exemple à l’affirmation initiale. En ce sens, sa méthodologie n’est pas différente de celle que nous avons analysée dans un précédent article puisqu’il s’attaque au nœud central afin d’étendre ce résultat pour contrer la seconde proposition de Xénophon. Et en guise de conclusion il écrit ceci :

« Donc, toi Xénophon, qui voulais retrancher de tous inégaux des parties égales, croyant que les restes, encore qu’inégaux, resteraient dans la même proportion qu’au début, tu te trompais. »

Le temps lui importe peu, il s’adresse directement au penseur Xénophon via son œuvre car il n’a accès qu’à celle-ci, car son œuvre c’est Xénophon. Il parle d’égal à égal sur le ton de la franchise sans s’embarrasser avec des formules de politesse. Dans son dialogue ne compte que le fond et non la forme. Le dialogue est démonstratif au sens mathématique du terme et non au sens figuré. Ce qui compte c’est d’aller à l’essentiel, tout le reste est social et superflu.

Ainsi Leonardo da Vinci prouve par son exemple qu’il est nécessaire de communiquer avec les morts, selon sa propre expression, via les livres. Car les livres ne sont pas seulement écrits pour les hommes du présent mais surtout pour ceux du futur. Et c’est en tant qu’homme du futur qu’il donne l’exemple dans un manuscrit personnel qui n’était pas destiné à être publié, aussi l’exemple est encore plus sincère puisque plus près de la mentalité de Leonardo da Vinci. Le maître enseigne non pas à des étudiants formels mais à des disciples qui tentent réellement de comprendre le monde avec l’aide d’un regard qui offre une autre vision plus sincère mais aussi plus profonde.