11506 - Le retour de l’avenir

N. Lygeros
Traduit du Grec par A.-M. Bras

Le maître a dans ses bras la disciple blessée.

– Maître, comment avez-vous résisté à l’attaque ?
– Les livres sont notre bouclier.
– C’est pour cela qu’ils sont si lourds.
– Tu ne dois pas mourir.
– Pourquoi, maître ?
– Ce n’est pas le moment.
– Comment le dites-vous…
– Notre bibliothèque a besoin de toi.
– Mais j’ai perdu tellement de sang.
– Tu en prendras du mien.
– Comment est-ce possible ?
– Parce que c’est nécessaire.
– Maître, je ne comprends pas.
– Tout n’est pas compréhensible.
– Je n’avais pas cela en tête quand j’ai entendu, « prends ce que tu veux de mon œuvre ».
– Chaque heure a ses besoins, maintenant il faut que tu vives.
– Maître, je suis désolée…
– Disciple, je te défends de mourir, ce n’est pas ton heure.
– Et qui décide ?

Le maître la regarda d’une étrange façon et commença la procédure qu’il avait apprise du maître de la médecine. Il ne parlait plus, et regardait sa disciple dans les yeux. Il lui sourit quand il se rendit compte que son corps avait suivi ses instructions.

– Maître, j’ai retrouvé mon sang.
– Bien.
– La source de la connaissance n’est pas seulement symbolique.
– Et les symboles sont une réalité.
– Combien de connaissances avez-vous ?
– Toutes celles que m’ont données les morts et les siècles.
– Les siècles ?
– Les années ne sont pas suffisantes.
– Maître, je suis de nouveau à côté de vous, mais vos paroles sont encore incompréhensibles.
– C’est juste une question de temps.
– Maître, vous êtes un monstre.
– Je sais. Eux seuls résistent aux bêtes.
– Je ne comprends toujours pas comment vous avez résisté.
– Nous sommes vivants.
– Mais à quel prix !
– Nous écrirons autant que de livres brûlés.
– Vous souvenez-vous d’eux ?
– Nous sommes nos livres.
– Vous êtes l’encyclopédie.
– Ne t’inquiète pas alors.
– Et le sang sur vous.
– C’est le tien.
– Mais quand avez-vous eu le temps de me trouver ?
– Le Temps.
– Et les autres me considéreront comme morte.
– Cela n’est pas un mal. Tu ne dois pas t’arrêter d’aider notre œuvre.
– Maintenant il ne s’agit pas de vous laisser.
– Je sais, mais maintenant tu le sais aussi.
– C’est un acte de barbarie que de ne pas exploiter la source de connaissances.
– Va, donc.
– Maintenant ?
– Maintenant, tu es prête.
– Pour quoi faire ?
– Pour le combat mental que nous allons mener.
– Contre l’oubli.