1034 - La puissance des contes philosophiques

N. Lygeros

Si les contes philosophiques sont si importants ce n’est pas pour leurs qualités strictement philosophiques ou littéraires, c’est avant tout par l’impact qu’ils produisent sur une partie relativement importante de la société sans se restreindre à la classe intellectuelle. Il est vrai que la compréhension des contes philosophiques si elle doit être complète nécessite la connaissance de l’oeuvre du philosophe et plus généralement de l’écrivain. Cependant le but initial de ce type de conte c’est de servir d’introduction à une problématique spécifique. Cette introduction qui se comporte parfois à l’instar du théâtre engagé peut être aussi une fin en soi pour la plupart des lecteurs mais aussi un point de référence pas nécessairement non dénaturé pour l’ensemble de la société qui n’est pas incluse dans le lectorat. La tradition française compte de nombreux exemples de ce type comme Voltaire mais il en existe d’analogues en Angleterre avec Swift. La renommée de ces contes est originaire d’une ambiguïté de principe. Les contes philosophiques utilisent un code particulier pour exprimer la pensée de leur auteur. Ce code précisément représente une source de confusion pour le lecteur moyen puisqu’il l’associe naturellement à la catégorie des contes qui est beaucoup plus vaste et dont le contenu philosophique est bien moindre. Aussi ce lecteur ne tente pas de déchiffrer un discours caché dans le second degré du texte. Celui-ci est lu de manière littéral et cela aide bien sûr à la notoriété sans que pour autant cela ne signifie que l’auteur soit compris par ce public spécifique. Par ailleurs, le conte via son code exploite les aphorismes et les leitmotiv qui permettent de créer des schémas mentaux stables capables de traverser de nombreuses couches dans la société. Cette approche est bien sûr réductionniste mais elle n’est pas obligatoirement réductrice dans le sens où le schéma mental conserve le thème principal du conte philosophique qui peut par la suite être développé par un autre auteur en quête du même objet. De plus le monde de ce type de conte est souvent aussi sobre que le décor d’une icône byzantine afin que toute l’information soit concentrée sur un point précis et non dispersée sur l’ensemble du texte. Il est vrai que Carroll est allé au delà de cette règle afin d’inventer un complexe logique beaucoup plus vaste que le but d’un manifeste ou d’un pamphlet. Néanmoins la codification formelle est toujours présente pour réaffirmer l’importance des idées développées et non des mots utilisés. Il s’agit donc d’une littérature engagée dont seul l’impact social compte réellement puisque la littérature est considérée comme un luxe si elle n’a d’autre but qu’elle-même. C’est en ce sens que nous considérons que les contes philosophiques sont puissants. Ce sont des codes à clef publique qui sont robustes vis-à-vis des attaques sociales et ce de manière diachronique.